Servir son pays….

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…Un fondement de la conscience panafricaine

Ces quelques mots résonnent encore dans ma tête. Qui n’a pas croisé au cours de sa vie, un de ces professeurs charismatiques qui vous forçaient à aimer leurs disciplines, dont les classes affichaient toujours pleine. Ces professeurs qui avaient, je ne sais quoi de particulier dans le discours. Oui, ces professeurs effectuaient un grand remue-ménage dans nos idées, qui en balayaient facilement certaines et en instauraient de nouvelles. Il faut dire, qu’ils n’avaient pas pour seule ambition de voir leurs élèves cueillir d’excellentes notes. Ils s’étaient surtout investis pour forger les personnalités, tracer les destins. Pour ma part j’en ai croisé à l’époque au cours de la dernière année de lycée. Du haut de ses soixante ans, il symbolisait la parfaite figure paternelle, avec ses saba’ndors, son bonnet et ses babouches. Il faisait preuve d’une grande autorité. Pour notre part, être en Terminale était l’ultime pas vers une vie d’adulte. Nous nous sentions déjà grands et forts

Mais laissons un peu de côté ces beaux souvenirs de lycéenne pour parler de ses idées. Panafricanisme, je pense bien que c’est lui qui en a instauré les fondements dans nos esprits à l’époque.  Entre deux pauses de cours de philosophie, il nous expliquait combien notre gouvernement, notre pays se pliait en quatre pour nous donner la meilleure éducation qui soit. « Vous êtes la génération qui va sauver votre pays » nous martelait-il d’un ton qui ne nous laissait point tergiverser. Il nous expliquait comment la Chine avait pu compter sur un nationalisme et un patriotisme hors pairs pour inventer un modèle et s’acheminer vers le développement. Il nous expliquait comment des coréennes avaient sauvé leur pays d’une faillite en déposant leurs bijoux dans les années soixante si ma mémoire est bonne. Il aimait l’Afrique, il aimait en parler et il aimait nous inculquer l’amour de ce continent. Il était très fier de l’homme noir, il nous disait comment Cheikh Anta Diop avait démontré l’épopée de l’Égypte antique noire.

Brain drain ou fuite des cerveaux, j’entendis la première fois cette expression lors d’un de ses cours. Il nous expliquait l’impérialisme occidental, par le biais de moyens mis en place afin de nous prendre ce que notre pays comptait de plus cher, à savoir nos ressources humaines que nos pays avaient pris plus de treize ans à former. Oui nos médecins, nos ingénieurs, nos professeurs, nos artistes s’envolaient définitivement pour l’Europe pour l’Amérique du Nord une fois atteint le cycle de formation qualifiant laissant derrière eux un pays pauvre et désolé. Il faut reconnaitre que ses leçons avaient quelque peu porté leurs fruits. Nous étions nombreux à nous sentir investis de cette mission-là. Nous ne rations plus, à l’époque les débats politiques.

Pour ma part j’intégrais le club des étudiants panafricains de Gaston Berger MEPUS à mes premières années universitaires et mon ambition pour l’Afrique, pour mon pays était démesurée. Sans savoir comment je voulais d’abord que dans l’espace universitaire, les africains se sentent unis, que les étudiants africains que l’on y rencontrait prennent conscience de notre appartenance à la même grande famille culturelle telle que l’a démontré le brillant Cheikh Anta Diop. Je voulais que l’africain se sente chez lui partout qu’il aille, qu’il se réapproprie sa culture puisque d’après Cheikh Anta Diop c’est un chemin impératif ou sûr, vers l’intégration africaine et les Etats Unis d’Afrique.  Je me rappelais les leçons de notre vieux professeur, je me rappelais comment il nous expliquait que la SOTIBA, l’industrie textile sénégalaise dans les années avait fait faillite du fait du complexe du consommateur sénégalais, de même Bata l’ancienne usine de chaussures fermées, de même que les industries chimiques du Sénégal et ainsi de suite et ainsi de suite. Cependant, autant le dire, notre association n’alla pas plus loin que l’organisation de rencontres et manifestations culturelles. Hélas …Toutefois au fur et à mesure que j’avançais dans les études et que je voyais autour de moi tous ces maitrisards chômeurs, je commençais à me demander dans quelle mesure servir son pays était possible vu le contexte, vu la corruption, vues toutes ces réalités culturelles handicapantes qui étaient les nôtres. Il faut dire qu’à tort ou à raison, notre papa, le vieux professeur n’avait jamais brossé cet aspect du tableau et loin de croire à son ignorance de la chose ou sa naïveté. Je mettrais cela sur le compte de son amour sans limite de l’Afrique et des africains. Partir ou rester ? La question reste encore énigmatique pour ne pas dire philosophique.

En hommage à ce veux professeur et parce que les graines qu’il a semées ont quelque peu germées, je continue de croire à un avenir en Afrique par les africains. Je continue de penser qu’à l’heure du numérique et de la mondialisation, l’africain partout qu’il se trouve s’accrochera à ses valeurs, qu’il fera de sa culture un pilier pour aller de l’avant, pour son développement économique. Je continue de croire qu’il a suffisamment d’intelligence pour savoir que l’heure est aux grands ensembles.  J’espère que notre génération produira suffisamment de ces professeurs qui prennent leur travail en passion et forment des personnes responsables qui non seulement aiment leur pays mais qui dans leur vie de tous les jours le traduisent en actes. J’espère que l’on sortira de notre illusion, préconisant à attendre tout de nos gouvernements corrompus pour prendre notre destin en main. Ce faisant, il va falloir aussi sortir de certains complexes et s’inventer un modèle qui nous soit propre et qui respecte nos valeurs et traditions…

Absatou Dia

Crédit Photo de couverture: Kane Mamoudou Lamine

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