Tombouctou : une cité africaine, des universités et des savants.

Tombouctou : une cité africaine, des universités et des savants

Inscrite au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, Tombouctou est fondée au XIIe siècle. La ville se développe sous Mansa Moussa qui règne sur l’Empire du Mali au XIVe siècle. Ce dernier y fait construire la prestigieuse mosquée Djingareyber (pouvant accueillir 10 000 fidèles) en 1325. Au siècle suivant, est construite la mosquée de Sankoré, dotée d’une Medersa et, à l’origine d’une université islamique de renommée internationale. Après la chute de l’Empire du Mali, la cité passe, intacte et sans destruction, sous la domination d’un autre empire africain: le Songhoy. Certes, la cité entre par la grande porte dans l’histoire universelle durant le règne de l’empereur Kankan Moussa (qui règne de 1312 à 1337). Mais, Tombouctou atteint son apogée sous l’Empire Songhoy.

Une cité universitaire médiévale

L’attraction que Tombouctou exerce sur les intellectuels du monde musulman se révèle dans les Tariks, chroniques écrites par des lettrés musulmans (arabes ou non), décrivant les événements et l’actualité de leur temps. Devenue centre international de la pensée, la cité de Tombouctou dispose de 3 universités, 180 établissements scolaires, et près de 25 000 étudiants, pour 100 000 habitants. Au XVIe siècle, la cité rassemble près de 200 bibliothèques et 1 millions de manuscrits, malgré les pillages, les vols et les assassinats de savants opérés par des mercenaires à la solde du Maroc. Le joyau de ce système éducatif est l’Université de Sankoré, où s’étudient la théologie, le droit coranique, la grammaire, les mathématiques, la géographie et la médecine. Les médecins de Tombouctou sont particulièrement réputés pour leurs techniques de chirurgie oculaire, dont le traitement de la cataracte.

De tous les érudits de Tombouctou, le plus célèbre est sans aucun doute Ahmed Baba (1556-1627), un scientifique, théologien, philosophe et humaniste prolifique, auteur de plus de 50 livres traitant tous de sujets différents, également recteur de l’Université de Sankoré. Les érudits de tous les pays musulmans viennent régulièrement à Tombouctou pour rencontrer cet ancien disciple du savant noir Mohammed Bagayoko. En 1593, lors de l’invasion marocaine, il est déporté à Fès et la plupart de son travail est détruit par des mercenaires à la solde du Maroc et dirigés par un renégat espagnol. Des lettrés marocains, complexés par son érudition, tentent de répandre la rumeur selon laquelle Ahmed Baba n’a pas la peau noire. En réaction à cette tentative de révisionnisme, Ahmed Baba affirme qu’il est “SOUDANI” (noir).

L’invasion marocaine et son lot de vols, de viols et de pillages

L’âge d’or de l’Empire Songhoy et de Tombouctou se termine à la fin du XVIe siècle. En 1591, après plusieurs défaites, le Sultan marocain Ahmed el-Mansur y envoie une expédition militaire composée de mercenaires majoritairement non-marocains et dirigés par un renégat espagnol dénommé le pacha Youder. Ils vainquent l’armée songhoy, grâce aux mousquets dont ils disposent, lors de la décisive bataille de Tindibi, puis entrent par la suite à Tombouctou.

Abderahman es-Saadi relate les circonstances de cette invasion en ces termes: « Les gens du Pacha pillèrent tout ce qu’ils purent trouver, faisant mettre à nu hommes et femmes pour les fouiller. Ils abusèrent ensuite des femmes (…) Parmi les victimes de ce massacre, on comptait neuf personnes appartenant aux grandes familles de Sankoré: le très docte jurisconsulte Ahmed-Moyâ; le pieux jurisconsulte Mohammed-el-Amin, (etc…). Mais surtout, comme le dira Mahmoud al-Kati dans son Tarik el-Fettah, orpheline de ses érudits, docteurs et lettrés, « Tombouctou devint un corps sans âme ».

Les témoignages

Le Tarik le plus célèbre à propos de Tombouctou et du Soudan Occidental est le Tarik es-Soudan, écrit par Abdelrahman es-Saadi (1596-1656) [Soudan signifie « Pays des Noirs » en arabe, et le Soudan occidental désigne l’Afrique occidentale actuelle]. Cet érudit de Tombouctou décrit sa cité natale comme étant « exquise, pure, délicieuse, illustre cité bénite, généreuse et animée, ma patrie, ce que j’ai de plus cher au monde ». Tout aussi célèbre est le Tarik es-Fettah, écrit par Mahmoud al-Kati, le neveu, trésorier et conseiller de l’Askia Mohammed Touré.

Selon cet auteur, Tombouctou se caractérise par « la solidité des institutions, les libertés politiques, la pureté morale, la sécurité des personnes et des biens, la clémence et la compassion envers les pauvres et les étrangers, la courtoisie à l’égard des étudiants et des Hommes de Science ». Il peut être intéressant de mentionner la particulière ascendance de Mahmud al-Kati (« al-Kati » est une déformation de l’arabe « al-Quti », le Goth): il est le fils d’une nièce de l’Askia, et de Ali Ben Ziyad, un Wisigoth islamisé qui décide de fuir les persécutions religieuses du sud de l’Espagne, traversant tout le Maghreb pour s’établir définitivement au « Pays des Noirs ».

Une autre description de Tombouctou trouve son origine dans la visite faite en 1512 par Léon l’Africain, un musulman de Grenade (né comme Al Hassan ibn Muhamad al-Wazzan) qui fuit l’Andalousie en 1494, devant les persécutions des chrétiens castillans. Il écrit sa fameuse Description de l’Afrique dans laquelle il affirme à propos de Tombouctou: « On y vend beaucoup de livres , et on tire plus de bénéfice de ce commerce que de toutes les autres marchandises » (rappelons que Tombouctou se trouvait au centre d’un Empire qui produisait la moitié de tout l’or du monde).

Lorsque René Caillé arrive à Tombouctou en 1828, il ne peut s’empêcher de s’extasier: « Les habitants sont doux et affables envers les étrangers, ils sont industrieux et intelligents dans le commerce qui est leur seule ressource… Tous les Nègres de Tombouctou sont en état de lire le Coran et même le savent par cœur ». Même 140 ans après les séries de vols, viols et pillages des arabo-berbères venus du Maroc, Tombouctou peut encore s’enorgueillir d’avoir une population à 100% alphabétisée, ce dont presque aucune autre ville au monde ne peut alors se prévaloir.

Léopold Sédar Senghor premier président du Sénégal tient les propos suivants sur la cité: « Ce n’est pas un hasard si le Songhaï, avec Tombouctou, sa principale ville, réalisa […] à la veille de la Renaissance européenne, la civilisation africaine la plus riche, sinon la plus brillante, parce que la plus humaine »

Diallo Mamadou, La plume d’Ishango pour ADN

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