Kadhafi : un impérialiste derrière le masque panafricaniste (2/2)

Comme nous l’avions indiqué dans le précédent article, le but ultime de Kadhafi fut de pérenniser son pouvoir et d’assurer la transmission de celui-ci à ses fils. Mais, pour y arriver, il devait réaliser un objectif intermédiaire : avoir une influence internationale pour se poser en interlocuteur des Occidentaux. Cette position devait pousser ces derniers (qui ne cachaient pas leur hostilité à son égard) à composer avec lui. Cela devait enlever aux Occidentaux toute velléité de déstabilisation de son pouvoir, car il leur serait plus utile en tant qu’allié qu’en tant qu’ennemi. Pour réaliser cet objectif intermédiaire, il se rabattra sur l’Afrique après avoir échoué avec les Arabes. Et pour se poser en leader de l’Afrique, il déroulera tout une stratégie, c’est-à-dire un ensemble d’actions coordonnées, d’opérations habiles, de manœuvres en vue d’atteindre le but précis que nous avons énoncé.

Les actions coordonnées, opérations habiles et manœuvres

Pour dérouler cette stratégie, Kadhafi commencera d’abord par mettre en place une vingtaine de commissions mixtes qui veillaient au développement des relations bilatérales avec les États africains. Dans ce sillage seront créés :

  • une trentaine d’entreprises libyennes qui opéraient dans les secteurs de l’industrie, du tourisme, de l’agriculture et des services,
  • six banques déployées au Burkina, au Mali, au Tchad, au Niger, en Ouganda et au Togo afin de pénétrer les secteurs bancaires respectifs de ces pays,
  • des prêts à des conditions avantageuses qui ont permis de réaliser de nombreux projets d’infrastructures. Ceux-ci étaient cependant assortis de conditions secrètes de remboursement largement ignorées par l’opinion africaine. Par exemple, l’ex-président malien Amadou Toumani Touré avait offert, en 2004, dans des conditions très opaques, 100 000 ha parmi les terres les plus fertiles du Mali à la Libye. Le guide libyen voulait y développer la culture du riz, non pas pour la population malienne, mais pour assurer l’approvisionnement de la population libyenne en riz. Ainsi, il allait réduire sa dépendance aux filières d’importation qui étaient tenues par les Occidentaux. En 2007, les dons de pétrole libyens au Zimbabwe, sous le coup des sanctions internationales, furent remboursés par Robert Mugabe par l’octroi aux Libyens de participations dans les grandes compagnies publiques zimbabwéennes. En Centrafrique, l’ex-président Ange Félix Patassé avait payé sa dette à Kadhafi en lui octroyant des mines d’or et de diamants entre autres.
  • La CEN-SAD (Communauté des États sahélo-sahariens) fut créée en février 1998, et regroupait 29 États africains.
  • En 2006 fut fondé le groupe LAP (Lybia Africa Portfolio), un fonds d’investissement doté de 8 milliards de dollars, dont l’objectif principal fut de placer des capitaux dans tous les secteurs de production au sein des États africains. Ce qui devait lui assurer une emprise économique sur ces derniers. La LAP se fixera dans les pays concernés au travers d’un ensemble d’entreprises et de banques comme la Oil Libya Holding Company, la Lafico, Afriqiya et la Banque sahélo-saharienne pour l’industrie et le commerce.
  • L’Association Mondiale pour l’Appel Islamique (World Islamic Call Society, WICS) était « officiellement » une ONG mais dépendait directement de Kadhafi, et était financée par le trésor public libyen. Ce qui est paradoxal, quand on sait que Kadhafi réprimait impitoyablement l’islam politique (notamment les Frères musulmans) et toute forme de prosélytisme islamique à l’intérieur de ses frontières. Mais il finançait dans les pays africains ce qu’il combattait chez lui (trouvez l’erreur !). L’objectif étant pour lui d’avoir, à l’intérieur de ces pays, des relais qui pourraient à terme servir ses objectifs de politique étrangère. Ainsi, l’emprise religieuse que devait réaliser WICS devait s’ajouter à l’emprise économique, financière des entreprises et banques libyennes.
  • S’ajoute également la légion islamique : peu après son accession au pouvoir, Kadhafi met en place une armée de mercenaires qui servirent d’ailleurs en Ouganda et au Tchad.

Toutes ces actions semblent n’avoir aucun lien entre elles. Il faut de solides bases en stratégie pour voir ce qui les relie et comment elles auraient permis à Kadhafi d’asseoir une véritable emprise impériale sur les États africains concernés.

L’autre face du panafricaniste : les rebellions touaregs

Dès 1981, Khadafi se dote d’un fonds souverain dénommé la Libyan Arab Foreign Investment Company (Lafico). Ce dernier fut le bras financier de la politique étrangère libyenne en Afrique et assurera les achats et livraisons d’armes à de nombreuses rébellions africaines, et le financement d’autres actions de déstabilisation (recrutement, formation, etc.). La même année, lors de son discours d’Oubari, Kadhafi annonce l’ouverture de ses camps militaires aux jeunes Touaregs maliens et nigériens afin de les doter d’une formation militaire. Une manière de former tous les rebelles touaregs qui menèrent des soulèvements sanglants contre les gouvernements maliens et nigériens. Parmi ceux-ci, Ibrahim Ag Bahanga, qui a bénéficié d’une formation militaire au sein de la Légion Verte en Libye avant d’aller combattre le gouvernement malien au sein du Mouvement Populaire de Libération de l’Azawad (MPLA), puis du Mouvement Populaire de l’Azawad, de 1990 à 1996. Un autre Touareg nigérien du nom d’Aghali Alambo fut un disciple sorti des camps d’entrainement militaires libyens. En 2007, Alambo prit la tête d’une rébellion contre le gouvernement nigérien : le Mouvement des Nigériens pour la Justice (MNJ). Mais Alambo fut aussi un ancien membre du Front de Libération de l’Aïr et de l’Azawak (FLAA) pendant la rébellion touarègue de 1990 au Niger.

Dans son projet d’étendre son emprise par tous les moyens, y compris militaires, il porta à bout de bras les pires chefs de guerre de l’histoire contemporaine africaine : Charles Taylor au Liberia et Fodé Sanko en Sierra Leone.

L’autre face du panafricaniste : les guerres civiles au Libéria et en Sierra Léone

Arrêté puis emprisonné pour un détournement de fonds au sein du gouvernement libérien,  Charles Taylor réussit à se réfugier aux États-Unis d’où il s’enfuit en 1985 pour se retrouver en Libye. Le colonel Kadhafi lui fournit une formation militaire comme il le fit avec les Touaregs. C’est fort de cette formation et du soutien technique, logistique et financier de Kadhafi que Taylor retournera déclencher, au Liberia, une guerre civile qui fit 150 000 morts entre 1989 et 1997. Tout au long de cet épisode, le guide  libyen fournira armes et financements à Taylor. Ce dernier embrasera la Sierra Leone, pays voisin, en soutenant la rébellion de Fodé Sankoh qui, lui aussi, est passé par les camps d’entrainement libyens où il fit la rencontre de Charles Taylor. C’est en Libye que Taylor et Sankoh auraient scellé les bases de leur coopération, qu’ils mettront en œuvre sur le terrain et se soldera en Sierra Leone par la guerre civile de 1991 à 2002, qui a fait environ 120 000 morts et des milliers de civils mutilés.

L’autre face du panafricaniste : ses tentatives de désintégrer le Nigeria

En mars 2010, des affrontements entre chrétiens et musulmans dans la ville de Jos au Nigeria font de nombreuses victimes. Mais Kadhafi essaye de jeter de l’huile sur le feu et appelle publiquement à la scission du Nigeria : une manière d’encourager les affrontements fratricides. Il propose même d’appliquer au Nigeria le modèle de scission entre l’Inde et le Pakistan en 1947, avec Lagos comme capitale du Sud et Abuja comme capitale du Nord. Une semaine après, il tiendra d’autres propos encore plus irresponsables, en appelant à la création de plusieurs États indépendants et en appliquant au Nigeria le modèle de dislocation de l’ex-Yougoslavie. Evidemment, la dislocation de la première puissance économique et démographique africaine lui permettrait de se poser plus facilement en leader de l’Afrique.  Mais le gouvernement nigérian répliqua immédiatement en rappelant son ambassadeur de Tripoli. Aussi, l’appel de Kadhafi à la partition de la fédération nigériane fut unanimement rejeté par tous les bords politiques et religieux du Nigeria : chrétiens comme musulmans. Nous noterons qu’il y a là une attitude paradoxale pour quelqu’un qui prêche l’unité de l’Afrique, mais appelle à la balkanisation d’un pays africain en soufflant sur les braises des tensions entre chrétiens et musulmans

L’autre face du panafricaniste : Kadhafi attaqua le Tchad.

La photo ci-contre est celle dIdriss Deby donnant une conférence de presse lors de la bataille de Ouadi Doum où l’armée tchadienne mit en déroute totale les envahisseurs de l’armée libyenne de Kadhafi. Des milliers de soldats libyens furent constitués prisonniers, y compris leur état-major.

En 1973, soit seulement 4 ans après l’accession de Kadhafi au pouvoir, la Libye annexe une partie du territoire tchadien, la bande d’Aouzou, profitant de la guerre civile au Tchad. Mais les différentes factions tchadiennes finiront par mettre un terme à la guerre fratricide pour faire front commun contre l’armée libyenne, qui était plus nombreuse et mieux armée. Ainsi, en 1987, la Libye perd la quasi-totalité du territoire (114 000 km²) qu’elle occupait au Tchad, 1 milliard de dollars en armes et un tiers de ses 15 000 soldats. Une guerre peu connue de la jeunesse africaine, que relate la vidéo ci-dessous :

L’apartheid contre les Noirs libyens

Peu d’Africains soupçonnent l’existence des populations noires libyennes que sont les Toubous, et qui ont subi une véritable politique d’apartheid orchestré par Kadhafi. Les Toubous sont des populations nomades présentes au Sahara depuis des millénaires et leur territoire est partagé entre le Tchad, le Niger et la Libye.

En 1969, aussitôt après sa prise du pouvoir, Kadhafi promulgue une constitution qui fait de la Libye une République Arabe. Ce qui a pour conséquence d’exclure de facto les minorités non-arabes. Parmi elles, les Toubous furent durement discriminés et considérés comme des étrangers car parlant des langues autres que l’Arabe. Cette discrimination découlant de la constitution de 1969 limitera l’accès des Toubous à l’enseignement supérieur, aux métiers qualifiés, au logement et aux soins de santé. Cela aura pour conséquence de les maintenir dans une grande précarité, parqués dans des ghettos à la périphérie des grandes villes libyennes.

Qu’avez-vous contre le « bienfaiteur de l’Afrique » ?

Certains de nos lecteurs ne manqueront pas de poser la question ci-dessus. Car, à leurs yeux, Kadhafi « voulait unir l’Afrique, voulait créer une unique monnaie africaine, etc. ». Nous avons envie de demander à ceux-là : « ces actions du guide libyen étaient-elles pour les beaux yeux des Africains, sans aucune arrière-pensée ? » Répétons que « les États n’ont pas d’amis mais des intérêts », donc tous les actes que posaient Kadhafi n’avaient rien d’actes de bienfaisance, mais s’inscrivaient dans une stratégie de politique internationale. Aussi, retenons que l’altruisme n’existe pas dans les relations internationales. Toutes les générosités de Kadhafi avaient des contreparties, certes peu connues du grand public, mais des contreparties qui existaient quand même.

Nous devons savoir que la souveraineté n’est pas de quitter une forme de néocolonialisme pour aller se soumettre à une autre. Kadhafi avait des visées impérialistes sur l’Afrique mais il est entré en collision avec les intérêts de la France. L’enjeu pour les Africains est de se « libérer » de toute forme de tutelle étrangère. Et se « libérer » ne veut pas dire quitter la tutelle française pour accepter une autre tutelle, qu’elle soit libyenne, marocaine, chinoise, russe, etc.

Diallo Mamadou,

La plume d’Ishango

1 réponse sur “Kadhafi : un impérialiste derrière le masque panafricaniste (2/2)”

  1. respect encore une fois pour toute ces vérités qui déranges les heureux moutons africains qui ce complaisent a croire ce défunt manipulateur qui je le sait depuis plus de 6 ans maintenant ne pensait qu’a ces intérêts personnel & familial & de ces populations musulmanes descendants d’envahisseurs en terres africaine..merci ..

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