Il est fréquent d’entendre louer les talents stratégiques de certains peuples en faisant référence à des jeux pratiqués depuis des siècles. Ainsi, vous avez sûrement entendu parler du go chinois et des échecs européens. Qu’en est-il des Africains ?
Awalé, un jeu de stratégie africain et millénaire
Ce jeu, parmi les plus anciens au monde, trouve ses sources dans l’Égypte pharaonique. Les plus anciens tabliers d’awalé connus à ce jour sont vieux de 1 300 ans. Ils ont été découverts lors de fouilles archéologiques dans les vestiges du royaume d’Aksoum (actuelle Éthiopie) qui a existé entre le Ier siècle av. J-C et le Xe siècle ap. J-C. En 1620, le roi Shamba Balongombo, qui dirigeait le royaume Kuba (actuelle RDC), se fit sculpter pour la postérité avec un tablier d’awalé.
Un ancien awalé, millénaire et taillé dans la roche (voir vidéo ci-dessous), est toujours visible sur le site historique de la capitale du Mapungubwe, un ancien royaume d’Afrique du Sud fondé en 1075 et disparu au XIVᵉ siècle.
Dans les royaumes du Ghana précolonial, des pièces historiques d’awalé nous donnent un aperçu des usages et du statut de ce jeu dans ces sociétés. Certains tabliers d’awalé étaient en or ou en ivoire, et les rois avaient l’habitude de se confronter à leurs généraux avant une bataille, afin d’évaluer leurs capacités stratégiques.
Wali, awalé, awari, wure ou wari !
En plus de cette ancienneté millénaire, ce jeu de stratégie est pratiqué sur toute l’étendue du continent africain. C’est la raison pour laquelle on lui trouve de si nombreux noms, qui sont en réalité des appellations locales.
Pays | Nom |
Côte d’Ivoire | awalé |
Côte d’Ivoire et Ghana | awari, awélé |
Cameroun | songo’o |
Nigeria | ayo ou ayo-ayo |
Gabon | Mbekh ô kôla |
Cap-Vert | ourin, ourri |
Mali | wôli ou wali |
Sénégal | wure |
Congo | Ngola |
Le principe et la philosophie
L´awalé requiert une grande capacité cognitive et stratégique puisque le joueur doit anticiper les actions de son vis-à-vis. Il s’agit donc d’une répétition des effets, des causes, des interactions stratégiques, avec pour chaque joueur un objectif, une façon d’y parvenir (la stratégie) et une séquence de coups à jouer (les actions). Le calcul est toujours à l’œuvre : celui du nombre de graines, de trous dans lesquels elles sont déposées ou capturées, celui des forces de l’adversaire. C’est un jeu d’éveil intellectuel et d’émulation ludique dans les civilisations africaines et reconnu comme tel aujourd’hui. Par exemple, le magazine français dénommé Albert, réveillez vos neurones, dans son premier numéro datant de mars 2006, présenta l’awalé à ses lecteurs comme « un des meilleurs objets ludiques entretenant les facultés intellectuelles ».
Ce jeu africain à travers le monde
À partir de l’Afrique, ce jeu de stratégie s’est propagé au Moyen-Orient, en Inde, jusqu’en Indonésie, en Chine et sur le continent américain (Amérique Latine et Caraïbes). Aujourd’hui, des tournois d’awalé sont organisés régulièrement à Cannes (France) durant le Festival des jeux en février-mars, ainsi qu’au Musée suisse du Jeu de La Tour-de-Peilz (Suisse) en automne.
Les enseignements
La diffusion de l’awalé dans le temps et dans l’espace africain tord le cou à cette propagande mensongère selon laquelle l’Afrique est un continent sans histoire, composé de tribus isolées et disparates. Contrairement, donc, à ce qui fut développé dans la littérature coloniale, et solidement ancré dans les inconscients, y compris dans ceux de beaucoup d’Africains, les différentes entités africaines (empires, royaumes, ethnies) ont eu à entretenir des liens permanents entre elles. À tel point que l’on retrouve ce jeu de stratégie d’un bout à l’autre du continent. Il y a dans ce jeu un symbole fort de l’unité culturelle de l’Afrique, mais aussi de réelles perspectives pour l’enseignement de la stratégie dans les écoles d’ingénieurs, de commerce et dans les écoles militaires en Afrique. Il y a également dans ce jeu un moyen de montrer aux Africains « qu’ils ont plus de choses qui les relient que de choses qui les séparent ». Ce lien, que la littérature coloniale s’est évertuée à déconstruire afin de « diviser pour mieux régner », est indispensable à l’émergence d’une identité africaine, elle-même indispensable au développement économique et social. C’est ce lien qui poussera les Africains à faire front commun, quand il le faudra, face à des États, des institutions ou multinationales étrangères.
Diallo Mamadou,
La Plume d’Ishango, pour ADN