« Mauritanie : préalables pour la construction d’une nation arc-en-ciel apaisée »

« Mauritanie : préalables pour la construction d’une nation arc-en-ciel apaisée »

« Toute pratique discriminatoire est dangereuse même lorsqu’elle s’exerce en faveur d’une communauté qui a souffert. Non seulement parce qu’on remplace ainsi une injustice par une autre, et qu’on renforce la haine et la suspicion, mais pour une raison de principe plus grave encore à mes yeux : tant que la place d’une personne dans la société continue à dépendre de son appartenance à telle ou telle communauté, on est entrain de perpétuer un système pervers qui ne peut qu’approfondir les divisions ; si l’on cherche à réduire les inégalités, les injustices, les tensions raciales ou ethniques ou religieuse ou autres, le seul objectif raisonnable, le seul objectif honorable, c’est d’œuvrer pour que chaque citoyen soit traité comme un citoyen à part entière, quelques soient ses appartenances. Bien entendu un tel horizon ne peut être atteint du jour au lendemain, mais ce n’est pas une raison pour conduire l’attelage dans la direction opposée.»  Amin Maalouf 

NOTRE CONTEXTE

La Mauritanie comme tous les pays fondés dans le processus colonial issus de la conférence de Berlin n’a pas échappé à l’instrumentalisation, à la gestion et à la gouvernance de sa diversité par le politique.  Ce pays multiethnique, multiculturel et inégalitaire est une république islamique. Elle accède à sa souveraineté nationale le 28 novembre 1960. La construction de son unité nationale fera l’objet d’une remise en question fondamentale dès le lendemain de son indépendance. En effet, elle n’a jamais cessé d’être l’objet de crispations identitaires et de classes avec comme toile de fond un racisme d’Etat basé sur l’arabité du pays et l’usage de la langue arabe comme instrument de favoritisme aux yeux de sa communauté noire, ce qui a conduit dès sa naissance à une cohabitation difficile entre sa composante arabo-berbère et noire-africaine. Les évènements suivants illustrent cet état de fait :

  • Le manifeste des 19 en 1966 et un début de guerre civile qui s’en est suivi,
  • l’arrivée d’une caste militaro féodale à la tête du pays en 1978 après la guerre du Sahara occidental,
  • la naissance desForces de Libération Africaine de Mauritanie en mars 1983,
  • le manifeste des négro-mauritaniensopprimés en 1986,
  • la présumée tentative de putsch d’officiers noirs en 1987 et l’exécution de trois d’entre eux par une justice expéditive,
  • son entrée dans l’Union du Maghreb Arabe en 1989,
  • Le conflit Sénégalo mauritanien de 1989 qui débouche sur les années dites de « braises »,
  • Pendaison de 28 négro-africains pour commémorer le jour de l’indépendance
  • sa sortie de la CEDEAO en 2000,
  • et enfin le très controversé enrôlement biométrique encore en cours et qui a occasionné le mouvement « touche pas à ma nationalité ».

Une frange importante de la population noire haratine hassanophone, est aussi victime de l’esclavage et de ses séquelles. Cet esclavage sous-tendu par un système féodal et tribal n’a été aboli que dans les années 1980. En dépit des lois l’abolissant et la  criminalisant, cette pratique séculaire continue encore à régir la société toute entière. Ces lois, de par leur manque d’effectivité sont très longtemps restées purement formelles et réservées à l’opinion publique internationale.

Les faits ci-dessous illustrent le combat que cette communauté mène jusqu’aujourd’hui :

  • la naissance du mouvement abolitionniste El HOR en 1978 et les arrestations arbitraires qui s’en sont suivies,
  • le manifeste des négro-mauritaniens (Hartani, Wolof, Halpulaar, Soninké, Bambara) opprimés en 1986,
  • le conflit Sénégalo-mauritanien de 1989 dont cette communauté a été victime du côté sénégalais et bourreau du côté mauritanien,
  • la création du mouvement haratine Initiative Résurgence Abolitionniste 2008,
  • le manifeste pour les droits politiques, économiques et sociaux des Haratines du 29 Avril 2013.

La gestion du pays depuis 1978 par une caste militaro féodale majoritairement arabo-berbère et qui a accaparé tous les leviers de commande du pays a installé ce dernier dans des agitations récurrentes et un climat social instable qui ont empêché et empêche encore le pays d’accéder à l’avènement d’un état de droit et d’une démocratie réelle et apaisée.Ces faits  témoignent de cette volonté d’un système de vouloir ancrer exclusivement la Mauritanie dans le monde arabe et par conséquent envoie un signal fort à sa composante noire-africaine comme ayant trahi sa vocation à constituer  un trait d’union entre le Maghreb arabe et l’Afrique subsaharienne.

De 1966 aux années 1992 la Mauritanie a connu des événements malheureux qui ont installé durablement le pays dans une instabilité latente, laquelle si on y prend garde pourrait coûter cher à son unité nationale. Les événements de 1989 appelés communément les années de braises en est un exemple patent.  Ces événements sont survenus suite à un banal conflit frontalier entre agriculteurs sénégalais et pasteurs dans le village sénégalais de Diawara, situé dans le département de Bakel. C’est à l’issue de cet incident banal et récurrent entre éléveurs et agriculteurs que plus de 120 000 ressortissants mauritaniens exclusivement noirs (wolof, pulaar, soninké, bambara), ont été expulsés manu-militari au Sénégal et au Mali. Ces derniers ont été victimes des violations graves et massives de droit de l’homme.

Ces exactions ont été planifiées, programmées et exécutées sous le règne de l’ancien président Ould Taya, exilé au Qatar, et ont été soutenues et légitimées par un système raciste, féodal et tribal sous la houlette de groupes nationalistes arabes. Ces crimes  sont restés impunis et n’ont fait l’objet d’aucune enquête digne de ce nom afin d’établir les responsabilités, pour que justice et réparations soient rendues aux victimes et à la nation entière dans le respect des normes internationales, ce qui laisse des traces indélébiles pour la cohésion sociale et interethnique.

Ce drame, que constituent l’esclavage et ses séquelles, la campagne de terreur des années 1989-92 que nous avons pudiquement appelé «Passif humanitaire » et l’accaparement de tous les leviers de commande par une seule communauté ont largement porté atteinte à l’unité nationale. Face à l’accumulation de toutes ces injustices la Mauritanie se retrouve donc dans un climat de suspicion généralisée où ses différentes composantes ethniques et culturelles se regardent désormais en chiens de faïence. Cette logique de discrimination non institutionnalisée menée par un système avec l’appui des nationalistes arabes prônant une Mauritanie exclusivement arabe atteindra son paroxysme par la pendaison de 28 noirs en 1990, lors de la commémoration de notre trentième anniversaire d’indépendance. Ce jour hautement symbolique qui devait être un jour d’amnistie, de grâce, de décoration et de récompense, un jour de consolidation de l’unité nationale, a été choisi, pour offenser et humilier une communauté léguant ainsi à la Mauritanie cet héritage profondément douloureux et indélébile.

L’espoir créé par la chute du dictateur et l’élection d’un président démocratiquement élu et supervisée par la communauté internationale avaient installé les prémices d’une réconciliation nationale en vue d’un climat de prévention de situation conflictuelle et de paix sociale durable.  Malheureusement, le coup d’État inattendu du 6 août 2008 exécuté par l’actuel Président Aziz ex chef du bataillon de sécurité présidentielle sous le régime du dictateur a mis fin à cet espoir. C’est donc la caste militaro féodale qui continue de gérer ce pays depuis 2008. 

NOTRE PROBLÉMATIQUE

Comment refonder un état de droit sur des fondements démocratiques dans un climat délétère ? 

Préparer l’avènement d’un Etat de droits sur des fondements démocratiques requiert un climat social apaisé.  Ce qu’il faut, à mon humble avis, c’est d’abord œuvrer pour désamorcer les tensions entre les différentes composantes de la société. Pour cela, il faut s’attaquer à l’ensemble des frustrations et blessures qui la minent sinon elles  reviendront tôt ou tard gangrener le corps social.

L’accaparement de tous les leviers de commande par une fraction de la communauté maure et un climat de suspicion ont crée une psychose généralisée entretenue par la rumeur au sein de la société mauritanienne.Cet état de fait doit être pris en compte, débattu, «exorcisé» et désamorcé. C’EST UN PRÉALABLE.

 La Mauritanie à l’instar de tous les territoires délimités sous un ordre colonial se confronte à la problématique qui est celle de la construction d’un Etat nation viable. Ce territoire, constitué en Etat imposé de fait, et que le principe d’intangibilité des frontières hérité de la colonisation a confirmé, n’a  jamais eu le temps se construire et par conséquent d’assurer les fonctions régaliennes nécessaires à construction d’une nation.

Les défis réels de la Mauritanie consistent donc d’abord :

  • à réconcilier ses différentes composantes que le destin a réuni et dont les séquelles de l’esclavage et l’instrumentalisation par un système basé sur une affirmation identitaire au détriment des autres composantes a instillé le venin de la division,
  • à chercher les formes d’Etats appropriés aux diversités qui la caractérisent par une redistribution équitable des pouvoirs.

Dans son livre «Gouvernance des diversités Enjeu de prévention de conflits en Afrique» Alioune DIOP indique:

« La gouvernance des diversités est aujourd’hui au cœur de la paix sociale et de l’unité nationale au sein de nos sociétés (…). Dans un continent désormais ouvert au monde, avec des populations de plus en plus exigeantes en matière de transparence, d’équité sociale, de bonne gouvernance, de liberté d’expression et de circulation, force est de reconnaître que la gouvernance des diversités doit également être au cœur de toute vision pour l’élaboration de stratégies de politiques publiques. C’est le défi incontournable de tout dirigeant politique s’il veut prévenir les conflits au sein des communautés nationales tout en promouvant la paix sociale, l’inclusion sociale et l’unité nationale. C’est également le défi que doivent relever , à des degrés divers et selon les dimensions bien spécifiques, toutes les personnes qui se trouvent dans une position de chef ou dirigeant à titre professionnel, religieux, social ou militaire».

Ce n’est pas une question de Noirs ou de Blancs, c’est une question de droits humains bafoués encore au 21e  siècle. Les luttes pour le respect des droits humains doivent mobiliser en un front commun et uni l’ensemble des filles et fils du pays, car si ces luttes aboutissaient, elles conduiraient à l’émancipation vis à vis de « tares congénitales » que nous avons au sein de toutes nos diversités, et donc la libération de la femme mauritanienne, de l’homme mauritanien. Ce déficit d’équité combattu, et ses séquelles éliminées, ce sont et les oppresseurs et les opprimés qui seront libérés. Ainsi naîtra une femme nouvelle, un homme nouveau, une citoyenne, un citoyen.

En paraphrasant Amin Maalouf je dirais alors que «Même si la majorité des discriminés en Mauritanie est noire il ne s’agit pas de remplacer un gouvernement d’arabo-berbères par un gouvernement de Noirs,  ni de substituer une discrimination par une autre, mais de donner à tous les citoyens, quelle que soit leur origine, les mêmes droits politiques et qui s’exercent de facto. Libre à eux ensuite d’élire à partir de là les dirigeants de  leur choix fussent-ils négro mauritaniens, arabo berbères ou métissés.»

Il ne s’agit donc pas de la stigmatisation d’une communauté, plus précisément la communauté arabo-berbère, elle-même otage d’un système. Il s’agit plutôt de réhabiliter des hommes et des femmes que notre histoire, lointaine et plus récente, a maintenu et maintient encore dans la servitude, l’ignorance, la précarité, l’iniquité, la marginalisation et aussi, d’hommes et des femmes torturés, exécutés, chassés, spoliés, éliminés dans la terreur sur un fond racial et ethnique.  Si les cris de détresse de ces hommes et de  ces femmes ne sont pas pris en charge et leurs plaies pansées et guéries pour le bien être de la communauté nationale dans le sens de l’intérêt général, ces derniers seront enclin à tomber dans les abîmes de la haine, de la rancœur et du ressentiment porteurs de tous les germes et accélérateurs de situations conflictuelles.

Le combat est donc contre l’impunité, contre la discrimination de filles et fils noirs de ce pays multi-ethnique avec tout ce que cela comporte comme risques sur des fonds de préjugés et présupposés. C’est notre histoire, et il ne sert à rien de la nier, de l’occulter pour le plus qu’elle puisse heurter le plus intime de notre ego. Nous devons l’assumer et avec courage et bon sens traiter les séquelles de cette histoire et ainsi léguer aux générations futures un meilleur avenir.

L’Afrique du Sud, elle aussi a connu une période sombre de son histoire. Un homme avec beaucoup de courage et de sagesse, Nelson MANDELA, l’a sortie de l’abject. Voici un extrait de son discours, prononcé lors de son investiture le 10 mai 1994 : «Nous devons donc agir ensemble, comme un peuple uni, vers une réconciliation nationale, vers la construction d’une nation, vers la naissance d’un nouveau monde. Que la justice soit la même pour tous. Que la paix existe pour tous. Qu’il y ait du travail, du pain, de l’eau et du sel pour tous. Que chacun d’entre nous sache que son corps, son esprit et son âme ont été libérés afin qu’ils puissent s’épanouir. Que jamais, jamais plus ce pays magnifique ne revive l’expérience de l’oppression des uns par les autres, ni ne souffre à nouveau l’indignité d’être le paria du monde. Que la liberté règne.»

Ce grand homme a pu pardonner ceux qui l’avaient mis en prison 27 ans durant, car il était dans les conditions de le faire après avoir combattu le système et l’avoir terrassé. Ce grand homme a eu le courage d’amnistier les tenants de l’apartheid, mais seulement après avoir recherché la vérité sur le système et avoir jugé ce système. Il faut que nous ayons le courage, ensemble, de rechercher la vérité et laisser la justice s’exprimer comme le dit JAMET dans son commentaire sur ce discours :«Il ne faut pas aller au plus court en recouvrant d’une chape de SILENCE et de l’Amnistie un passé plein de sang et de fureur au risque de laisser le ressentiment s’installer et revenir gangrener le corps social.

MANDELA a voulu que la réconciliation se fonda : NON sur l’oubli mais sur le PARDON, NON sur l’enfouissement des vérités qui fâchent mais sur la manifestation des vérités qui soulagent; NON sur le mensonge par omission , mais sur les AVEUX et le REPENTIR;
NON sur le rabibochage de façade mais sur une prise de conscience sincère et profonde.
MANDELA a voulu et fait de sorte que son pays fut lavé de la souillure du CRIME sans être entaché de celle du CHÂTIMENT
.
»

Quel leader dans notre société prendra t-il exemple de cette expérience ? Quel mouvement citoyen le contraindrait-il à adopter cette attitude ?

QUELLES SOLUTIONS ?

Pourquoi tardons-nous à ériger une commission rogatoire sur les événements qui ont endeuillé et continue d’endeuiller le pays et par conséquent de miner la cohésion sociale? Il faut des préalables pour la réconciliation nationale. Ne rusons pas avec les principes de fraternité, d’égalité et de justice. Le premier devoir d’un responsable suprême est de veiller à l’exercice de la justice, à la protection, et à la sécurité des ses administrés, éléments fondamentaux pour une paix sociale pérenne et donc terrain propice à une démocratie réelle et apaisée.«A Chaque fois qu’un progrès a eu lieu, c’est parce que les gens se sont comportés comme des citoyens, et non comme des politiciens. Ils ne se sont pas contentés de râler. Ils se sont concertés, ils se sont organisés,  ils ont travaillé, ils ont agi et se sont révoltés parfois si nécessaire.» Howard Zinn.

Et comme les tenants du système ont légué à la Mauritanie cet héritage lourd, seule une prise de conscience aiguë de la nécessité à s’unir en un mouvement citoyen d’envergure pourrait exercer sur le politique des pressions fortes afin qu’il y ait l’avènement  d’un état de droit. Ce serait donc aux intellectuels, surtout historiens et sociologues  et aux acteurs de  la société civile de se mobiliser pour une société citoyenne autour de valeurs et d’intérêts communs.

Martin Luther KING disait :« Accepter passivement un système injuste, c’est en fait collaborer avec ce système. L’opprimé devient par là aussi pêcheur que l’oppresseur. Ne pas collaborer au mal est une obligation morale, au même titre que collaborer au bien. L’opprimé ne doit jamais laisser en repos la conscience de l’oppresseur. Le peuple ne se fera jamais respecter par son oppresseur en se soumettant; il ne fera qu’augmenter son arrogance et son mépris, car on y voit toujours une preuve de l’incapacité du peuple à prendre son destin en main. Le peuple n’obtiendra jamais le respect de ses dirigeants ni celui de tous les peuples du monde, s’il accepte d’échanger l’avenir de ses enfants contre un peu de tranquillité dans l’immédiat».

L’objectif de ce texte est de créer un Think Tank dans lequel nous pourrons réfléchir et élaborer des stratégies afin d’éviter le pire pour la Mauritanie : la partition. Ce n’est pas une vue de l’esprit c’est une menace réelle avec tout ce que cela comporte comme conséquence négative à la stabilité de  nos sous régions. Nous sommes dans un contexte globalisé et une militarisation croissante de l’Afrique et de notre région en particulier doit nous inquiéter. L’Algérie, la Libye et le Nigeria sont des producteurs majeurs de pétrole et le Niger et le Mali abritent d’importantes quantités d’uranium. La RDC, La Guinée, l’Angola pour ne citer que ceux là sont des réservoirs de richesses incalculables nécessaires au capitalisme outrancier et adaptées aux transitions énergétiques et au développement durable. Les grandes puissances anciennes et émergentes se positionnent et ils instrumentaliseront nos peuples frustrés, démunis, désunis et mal préparés.

La question du Sahara occidental n’est pas encore résolue, le Soudan est partionné et le Mali s’avance vers la partition, dans une bipolarisation entre arabes-touaregs, peulhs, en un mot entre gens du Nord et gens du Sud. La Mauritanie et le Sénégal ne sortiront pas indemnes des enjeux de ressources partagées et de la gangrène du terrorisme international car comme le disait Pascal BONIFACE : »Les états et les acteurs politiques s’opposent souvent pour des raisons de questions d’intérêts déguisées ou non en querelles idéologiques ou de valeurs. Les visées territoriales, les perceptions de peur, la sécurité des approvisionnements, le contrôle des voies stratégiques, les héritages empoisonnés de la colonisation et décolonisation, l’effondrement des empires entretiennent la matrice des conflits actuels et futurs.« 

SOYONS VIGILANTS,alertons  et sensibilisons  au maximum.

Djibril Ba, pour ADN

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