Crise malienne : Du problème touareg au problème peul.

ADN vous propose une série d’articles concernant la crise malienne. Nous vous livrons à travers ce dossier, une analyse objective d’une crise, qui si rien n’est fait, risque d’embraser   toute la région Ouest-africaine.

On connaît la crise malienne qui a débuté en 2012 pour un prétendu problème touareg largement  relayé par la presse internationale. La rébellion touarèg du MNLA  (Mouvement National de Libération de l’Azawad) fut en réalité une simple couverture pour ce qui s’avérera être  Aqmi ( Al Qaida au Maghreb Islamique).

Le MNLA, AQMI, une classe politique malienne passée maître dans la cupidité, voilà le cocktail explosif qui semblait avoir mené le Mali au bord de l’implosion. Sauf que celle-ci n’a pas été aussi facile car les Touaregs sont minoritaires au nord du pays, où ils cohabitent avec une mosaïque de groupes ethniques et populations comme les Arabes, les Peuls, les Songhays, les Bambaras, les Maures, les Soninkés, etc. Aussi, le problème touareg au Mali ne s’est pas étendu aux autres pays (cf.tableau 1 ) où l’on retrouve cette ethnie.

Pays

Niger Mali Libye Algérie Burkina Faso Total
Population touareg 2 000 000

500 000

250 000 70 000 50 000

2870000

Tableau 1 : Répartition géographique des Touaregs : Ces chiffres sont souvent minimalistes du fait de l’absence de données actualisées

Le problème touareg

La thèse du malaise touareg n’a pas tenu longtemps face aux réalités du terrain. Le MNLA fut d’abord complètement mis hors-jeu par AQMI et le MUJAO (Mouvement pour l’Unicité et le Jihad en Afrique de l’Ouest ) avant l’intervention militaire française. Après l’opération Serval qui remit encore le MNLA au centre du jeu, une autre réalité est venue mettre à mal la thèse du malaise duquel le MNLA tire toute sa légitimité. Il s’agit de la rivalité inter-touareg qui divise cette ethnie entre séparatistes et loyalistes.

En effet, en y regardant de plus près, le MNLA présenté à la face du monde, par les médias occidentaux notamment, comme le produit de la marginalisation des populations touareg est en réalité porté par une seule frange des Touaregs: la tribu des Ifoghas. Ces derniers sont les dits « nobles » de la société touareg et sont minoritaires au regard des Imghads, plus nombreux et opposés à toute forme de séparatisme. L’ancien ambassadeur de France au Mali, Nicolas Normand, a décrit cette réalité en ces termes : « Les Imghad – ce tiers-état -, était pro-Bamako, pour résister au pouvoir féodal de la noblesse Ifoghas, qui elle, était séparatiste en bonne partie pour pouvoir résister elle-même à la démocratisation, au pouvoir du nombre et au pouvoir de l’égalité de statut entre les nobles et le tiers-état. Donc je pense que la rébellion touarègue était, avant tout, une défense de privilèges féodaux d’une minorité de Touaregs, dans la région de Kidal.». Cet antagonisme est apparu au grand jour quand après,  l’échec de la tentative de reprise de  la ville  Kidal par l’armée malienne, le 21 Mai 2014, les Imghads ont créé quelques mois plus tard, le GATIA (Groupe Autodéfense Touareg Imghad et Alliés). Le GATIA est dirigé sur le terrain par un touareg imghad et général de l’armée malienne: Hadj Gamou.

Général Hadj Gamou et ses hommes du GATIA

Le jour de l’officialisation de la création de ce mouvement, son secrétaire-général, Fahad Ag Agmahmoud, s’est exprimé en ces termes :  « Nous venons de créer le Groupe autodéfense touareg Imghad et alliés (Gatia) pour défendre les intérêts de notre communauté dans le nord du Mali, notamment contre le MNLA. Nous sommes pour le processus de paix, nous reconnaissons l’intégrité territoriale du Mali, et nous ne réclamons pas d’autonomie. Nous voulons travailler avec le gouvernement malien pour amener la stabilité du pays ».

Dans un article de Jeune Afrique datant du 25/04/19 , Ibrahim Maïga, chercheur à l’Institut d’études en sécurité (ISS) tenait les propos suivants sur le MNLA: <<C’était une rébellion armée composée en majorité par des individus appartenant à la communauté touarègue. Mais dans les faits, ce n’était pas une « rébellion touarègue car de nombreux Touareg ne soutenaient pas le mouvement et la société touarègue est traversée par d’importantes lignes de fractures. >>

Dans les affrontements qui ont opposé le MNLA et le GATIA, le rapport de force était tellement en défaveur du MNLA  que celui-ci aurait disparu si la communauté internationale n’avait pas, sous diverses formes, maintenue cette rébellion séparatiste en vie. Depuis 2014, l’armé malienne ayant abandonné de nombreuses zones du nord-Mali, la plupart des combats ont opposé les Touaregs du GATIA à ceux du MNLA. Ainsi, le GATIA a complètement compromis le « bon déroulement » du projet de dislocation du Mali à partir du prétendu malaise touareg.   L’enlisement du projet de balkanisation du Mali à partir du problème touareg, que le premier ministre nigérien Mouhamed BAZOUM  a qualifié « de faux problème touarèg », va donner naissance à un nouveau problème : « le problème peul ». La transition entre ces deux problèmes fut aussi rapide que spectaculaire, et il serait naïf de croire à un simple hasard. Ainsi, le vocable « Nord-Mali » auquel les médias occidentaux nous ont habitué  avec l’insurrection touareg, a peu à peu laissé place à un nouveau vocable : « le Centre du Mali ».

Le problème touareg s’est mué en problème peul : comme par hasard !

Nos lecteurs qui suivent l’actualité internationale remarquent que depuis peu on n’entend plus parler, ou en tout cas très peu, du « problème touareg ». Ce dernier semble être supplanté par le « problème peul ».

En effet, les Peuls présentent une  similitude troublante avec les Touaregs : il s’agit d’une ethnie transfrontalière. Autrement dit, ils sont  repartis  entre plusieurs pays africains (cf. tableau 2). Mais, deux choses les distinguent des Touaregs:

Ils sont plus nombreux, au moins 35 millions de personnes

Ils présentent de nombreux brassages avec d’autres groupes ethniques.

Ces deux caractéristiques font qu’un problème peul est très inflammable à l’échelle de toute l’Afrique de l’Ouest et du Centre au vu de leur présence dans des pays d’Afrique centrale comme le Cameroun, le Tchad et la Centrafrique. Partout, ils se sont mélangés aux Mandingues, aux Dogons, aux Haoussas, Mossis…  au point de donner naissance à de nombreuses ethnies hybrides. Ainsi, ces ethnies comme les diakhankés, Khassonkés, Silmimossés, etc. portant souvent des noms peuls mais de langue et culture mandingue ou mossis rendront un conflit généralisé encore plus inextricable.

Pays/Population Peul Nigeria

16 800 000

Guinée

4 200 000

Sénégal

3 452 000

Mali

3 000 000

Cameroun

2 900 000

Niger

1 620 500

Pays/Population Peul Burkina Faso

1 200 200

Tchad

580 000

Gambie

324 000

Guinée-Bissau

320 000

Sierra Leone

310 000

Total

34. 706.700

Tableau 2: Répartition géographique des peuls en Afrique. Ces chiffres sont minimalistes du fait de l’absence de données actualisées et la liste des pays est non exhaustive.

Des affrontements sporadiques ont opposé les Peuls à diverses communautés bambaras et dogons  depuis 2 ans. Mais, la violence a augmenté en intensité ce 1er Janvier 2019 où un village peul fut attaqué , faisant 37 morts. 3 mois plus tard, c’est plus de 160 Peuls qui furent assassinés dans le village malien d’Ogassougou par des hommes armés  déguisés en chasseurs dogons. Contrairement au problème dit « touareg » qui ne s’est pas propagé au Niger ou en Algérie, le « problème peul » s’est rapidement étendu au Burkina Faso, pays voisin du Mali. Ainsi, le 1er Janvier 2019, 49 Peuls furent tués à Yirgou, au centre-nord du Burkina Faso. Entre le 31 Mars et le 2 Avril 2019, toujours au Burkina Faso, des représailles faisant suite à une attaque terroriste ont fait 60 victimes. Les Peuls furent accusés de complicités avec les terroristes.

Mais, pour comprendre cette nouvelle crise dite « peule » il faut d’abord comprendre ce qu’on appelle le Centre du Mali. Cette compréhension sous-tendra la compréhension des tenants et aboutissants de cette nouvelle crise qui risque de s’étendre à toute l’Afrique de l’Ouest du fait de la présence peule dans tous ces pays. Dans notre second article nous aborderons la crise dite du « centre du Mali ».

Diallo Mamadou,

La plume d’Ishango, pour ADN

 

2 réponses sur “Crise malienne : Du problème touareg au problème peul.”

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